L’état d’urgence sanitaire

Le Titre 1er de la loi 2020-290 concerne l’état d’urgence sanitaire. Il créé un chapitre 1er bis (État d’urgence sanitaire) au sein du titre III (Menaces et crises sanitaires graves) du livre 1er (Lutte contre les maladies et dépendances) de la troisième partie (Lutte contre les maladies transmissibles) du code de la santé publique. Ouf !

Le nouvel article L. 3131-19 du code de la santé publique met en place le fameux Comité scientifique, pose, en fin :

« Le comité rend périodiquement des avis sur l’état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, y compris celles relevant des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, ainsi que sur la durée de leur application. Ces avis sont rendus publics sans délai. Le comité est dissous lorsque prend fin l’état d’urgence sanitaire. »

Les articles L. 3131-15 à L. 3131-17 permettent au premier ministre de gérer le confinement : interdiction de se déplacer, mise en quarantaine, maintien en isolement… bref, ils permettent de restreindre considérablement la liberté d’aller et de venir, notamment. Les compétences du premier ministre sont en la matière de nature constitutionnelle et législative : l’exécutif intervient pour limiter les libertés, aucune d’entre elles n’étant par nature absolue. Mais elles se renforcent considérablement en période de crise, quand l’état d’urgence est appliqué. D’autres articles de la loi prévoient les sanctions en cas de non-respect de ces mesures. Elles vont de la contravention de quatrième classe à six mois d’emprisonnement.

A côté de tout cela, une phrase a été ajoutée à l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui traite des risques d’épidémie et permet au ministre chargé de la santé de prendre toute mesure « proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » :

« Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l’état d’urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire. »

Ainsi, le législateur a entendu permettre au Ministre de la santé de prendre ces mesures, qui ne sont pas définies (mais dont on peut penser et espérer qu’elles ne devraient pas être les mêmes que celles que peut prendre le premier ministre), et ce après l’état d’urgence, c’est-à-dire à un moment où normalement le Parlement, organe législatif, peut à nouveau se réunir.

En terme de contre-pouvoirs, ceux-ci sont également prévus par la loi. L’article L. 3131-13 code de la santé publique pose :

« L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19. »

Toutefois, l’article 4 de la loi n° 2020-290 pose :

« Par dérogation aux dispositions de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.

La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au delà de la durée prévue au premier alinéa du présent article ne peut être autorisée que par la loi.
»

C’est ainsi l’exception dans l’exception : le législateur créée une norme particulière pour un contexte de crise, qu’il dénomme état d’urgence sanitaire (différent de l’état d’urgence lié au terrorisme, que nous connaissons malheureusement depuis quelques années). En cas de crise future, que par définition nous ne connaissons pas, l’état d’urgence sera prononcé pour une durée de un mois, si l’on s’en tient à ce texte. Mais pour cette première crise, présente mais pas vraiment connue non plus des divers experts qui ont eu à se pencher dessus, il a été décidé que l’état d’urgence sanitaire devait durer deux mois.

Car l’état d’urgence, du fait de la restriction des libertés qu’il entraîne, ne peut être prolongé que par la loi. Dans le cas d’une urgence, ce délai est de deux mois. Dans le cas de cette urgence, le délai est de deux mois. Il faudrait donc comprendre que l’urgence est ici plus urgente que les urgences à venir… Cela nous aurait amené à un vote le 23 avril, quand le déconfinement est maintenant prévu pour être, progressivement, levé à partir du 11 mai.Il y a donc malgré tout des garde-fous, qui sont bien réels. Certains parlementaires, ainsi qu’il a été dit dans un précédent billet, se feraient un plaisir de dénoncer tel ou tel détournement de ces mesures pour des raisons plus politiciennes que de santé publique, chacun accusant l’autre de faire de la politique, mais avec ce risque que celui qui sera le plus de “mauvaise foi” pourrait-on dire se fasse “démasqué”.

Ce chapitre Ier bis « est applicable jusqu’au 1er avril 2021. »

La contestation de toute loi peut se faire devant le Conseil constitutionnel durant son adoption (article 61 de la constitution), et à l’occasion d’un contentieux sur lequel elle se base ensuite (article 61-1). Mais le problème du contexte, indépendant du gouvernement, est ici que le Conseil constitutionnel est lui aussi confiné. Les délais devant lui sont suspendus jusqu’au 30 juin 2020 (loi organique n° 2020-365 du 30 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19).

Il est donc probable qu’il ne sera jamais saisi de la loi 2020-290, ni des ordonnances qu’elle a permises, lesdites ordonnances, prises pour faire face à la crise sanitaire, n’ayant pas forcément vocation à voir les mesures qu’elles édictent s’installer dans le temps, et donc devenir des lois au sens strict . Surtout dans un contexte d’encombrement législatif aggravé du fait de la crise, et étant considéré que la ratification ne peut se faire que explicitement.

Le Gouvernement pourrait toutefois les déposer sur le bureau de l’une des assemblées sans les mettre à l’ordre du jour. Ainsi, elles ne deviendraient pas caduques, et continueraient de produire des effets. Mais elles pourraient alors être attaquées devant le Conseil d’État, ainsi qu’il a été vu dans le billet concernant les ordonnances. Gageons que l’opportunité de voter de telles lois serait de toute façon âprement discuté par les parlementaires, particulièrement ceux de l’opposition.

Ainsi, il semblerait que, lorsqu’on parle de la loi et des ordonnances COVID, il n’y ait que des contre-pouvoirs qui ne soient pas judiciaires mais politique et médiatique (le quatrième pouvoir). Certains seraient tentés d’ajouter un cinquième pouvoir : les réseaux sociaux.  D’une façon générale, ceux-ci soit relaient des informations vérifiées, soit une parole politique qui est déjà présente dans les autres contre-pouvoirs énumérés, soit des “fake news” prétendument underground mais qui sont souvent lancées par des intérêts, y compris géopolitiques, contre lesquels il y a un large consensus républicain. Parfois, il est vrai, des vidéos de citoyens vigilants font “le buzz”, et imposent un débat plus général. Malgré tout, de notre point de vue, on ne peut réellement appeler les réseaux sociaux un cinquième pouvoir. Lorsqu’il en est un, c’est un contre-pouvoir d’opinion qu’on peut inclure dans le quatrième pouvoir.

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