On rappellera que en vertu de l’article 38 de la Constitution le gouvernement peut prendre par ordonnance après autorisation du Parlement et sur un domaine et un délai donné des mesures qui relèvent habituellement du domaine de la loi. Pendant le confinement en temps de Covid, cette pratique est devenue la norme.
La loi de ratification permet aux ordonnances de devenir lois, le Parlement étant autorisé à modifier et le texte de l’ordonnance et le texte de loi. Enfin il est rappelé qu”une ordonnance non déposée sur le bureau du Parlement dans le délai imparti devient caduque.
L’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 traite du pan économique de la crise et permet au gouvernement de prendre par ordonnances, pendant une durée de trois mois, « dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution » des mesures « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation ». « Les projets d’ordonnance pris sur le fondement du présent article sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire. »
La loi 2020-290 précise : « Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance. »
Cette disposition crée aussi de fait un premier contre-pouvoir : le Parlement n’acceptera pas que la partie de pouvoir dont il s’est temporairement défait serve des intérêts autre que « la guerre » contre le coronavirus. Au sein de la majorité, des voies discordantes pourraient se faire entendre. De façon feutrée puis, le cas échéant, de façon plus énergique. Du côté des oppositions surtout, qui sont, rappelons-le, majoritaires au Sénat, la vigilance est aussi de mise, pour des raisons pragmatiques mais également, politiciennes. Espérons que les deux aillent toujours de paire, le pragmatisme n’étant jamais détaché de la pratique politicienne. Malheureusement, le politique se détache parfois du pragmatisme, et donc du factuel.
En temps normal, parce que ce transfert de pouvoir est par nature exceptionnel et peut générer des déviances, les ordonnances sont contestables devant le Conseil d’État, étant “de simples actes administratifs”. Dépôt d’un projet de loi de ratification. Ici, le gouvernement a deux mois pour déposer. Mais dans une Assemblée vide. A partir du moment où le projet de loi est déposé, l’ordonnance continue d’être en vigueur jusqu’à sa ratification et cette ratification peut tarder.
Les ordonnances sont contestables en principe devant le Conseil d’État, comme nous le dit l’arrêt des 7ème et 2ème sous-sections réunies du 29 octobre 2004 (n° 269814), où notamment des sénateurs, emmenés par Monsieur Jean-Pierre Sueur, toujours sénateur d’ailleurs, avaient contesté la légalité d’une ordonnance du 17 juin 2004 concernant les partenariats publics privés. Le délai de jugement de 4 mois est ici exceptionnel s’agissant d’une procédure qui n’est pas une procédure d’urgence. Cette contestation n’est possible qu’avant ratification du projet de loi de l’ordonnance par le Parlement, et seules les dispositions de l’ordonnance qui sont nouvelles sont attaquables. C’est-à-dire que tout ce qui sera dans la loi permettant au gouvernement de prendre des ordonnances ne sera pas contestable. Seule la “création gouvernementale” pourra faire l’objet d’une demande en annulation.
Ainsi, toutes les dispositions qui reprennent le contenu de la loi d’habilitation, parce-qu’il s’agit alors d’une loi, ne sont pas concernées par cette voie contentieuse. En outre, le contexte du coronavirus est ici à prendre en compte également : le Conseil d’État a limité son activité aux urgences. Cette urgence pourrait être vue très strictement. Il faudrait alors, pour pouvoir contester la légalité une ordonnance, qu’elle soit illégale, mais aussi que son annulation soit urgente, au vu de ses effets notamment. Enfin, dernière particularité de notre époque : le gouvernement demande systématiquement son avis au Conseil d’État avant de prendre des mesures. On peut penser que ce dernier, même composé autrement, ne sera pas particulièrement enclin à juger illégale une mesure qu’il a lui-même validée, même si la plus haute juridiction administrative a déjà pu censurer des dispositifs validés en tant que conseil du Gouvernement.
Si des recours concernant l’application sont pas nature envisageables, des recours contre les ordonnances ont peu de chance de réussir. Entre les actes de gouvernement et les circonstances exceptionnelles, le juge exercera un contrôle normal ou approfondi lorsque des libertés publiques sont en cause. Il opérera alors une balance des intérêts, qui devra prendre en compte la situation sanitaire, l’urgence sanitaire, la catastrophe sanitaire.
On peut raisonnablement dire que, pour ce qui concerne les ordonnances, le vrai contre-pouvoir est le Parlement, même fonctionnant au ralenti.