Rappel 1 : la responsabilité médicale peut être recherchée sur la base de la responsabilité pour faute, ou sur la base de la responsabilité sans faute.
En présence d’une faute, dont il faut démontrer l’existence, il convient d’établir le lien entre la faute et le préjudice.
En l’absence de faute, il s’agit de caractériser le préjudice et le lien de causalité entre ce préjudice et l’activité médicale.
Rappel 2 : la responsabilité peut être recherchée au niveau de l’information du malade, au niveau du service de secours, au niveau de l’organisation des services de l’hôpital, au niveau du diagnostic du médecin, au niveau des analyses des laboratoires et au niveau de préjudices subis au sein d’un établissement sans aucun rapport avec le COVID.
Pour pouvoir mettre en perspective responsabilité médicale et COVID, il faut dans un premier temps revenir sur les moyens d’obtenir réparation pour un dommage médical.
Le domaine de la responsabilité médicale est réparti entre les deux ordres de juridiction, judiciaire et administratif, et connaît au sein de ces ordres plusieurs ramifications, que nous évoquerons brièvement.
Tout d’abord, en ce qui concerne la réparation d’un dommage résultant d’une faute d’un médecin, selon que le médecin mis en cause exerce dans le privé (ou à titre privé, libéral) ou dans le public, c’est le juge judiciaire pour le premier, et le juge administratif, pour le second, qui est compétent. Généralement, on met en cause l’institution dans laquelle exerce le praticien (clinique privée ou hôpital public par exemple), libre à cette institution de se retourner ensuite contre le praticien et son assureur.
En ce qui concerne la réparation d’une erreur médicale non fautive, elle peut également intervenir, sans que l’on puisse engager la responsabilité du médecin, qui dans cette hypothèse n’a pas commis de faute. Il y a plusieurs conditions pour obtenir une indemnisation dans ce cas, tenant notamment aux conséquences de l’erreur (et non de l’opération, ces conséquences étant à mettre en relation avec les conséquences prévisibles en cas d’absence d’intervention médicale) ou à la rareté avec laquelle intervient l’erreur en question (appelée aussi aléa thérapeutique).
Pour demander réparation en cas d’erreur non fautive, il faut saisir l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux), seul organisme habilité à réparer les erreurs médicales non fautives. Si à l’issue de la procédure devant elle, le demandeur n’est pas satisfait, il peut saisir le juge qui aurait à statuer si l’erreur n’était pas non-fautive (judiciaire ou administrative). La dichotomie public/privé reprend ainsi toute sa place. Il est d’ailleurs possible de saisir directement le juge compétent, mais en mettant en cause l’ONIAM, et non le professionnel de santé. La procédure est alors beaucoup plus longue.
Pour plus de détails, nous renvoyons nos lecteurs aux articles L. 1142-1 et D. 1142-1 du code de la santé publique, ainsi qu’à la jurisprudence, de la Cour de cassation notamment, et notamment à un arrêt du 19 juin 2019 de la première chambre civile (18-20.883).
En ce qui concerne une éventuelle sanction du professionnel de santé (donc en cas de faute), elle peut être décidée par le juge administratif lorsqu’on évoque les sanctions disciplinaires (via les conseils de l’Ordre des médecins, départementaux / régionaux / national, avec un éventuel pourvoi en cassation devant le Conseil d’État) ou par le juge judiciaire lorsqu’on évoque une faute pénale. La distinction entre les deux ordres se fait donc ici non pas en fonction du lieu d’exercice du praticien mais en fonction de sa faute, l’une n’étant d’ailleurs pas exclusive de l’autre (on a ainsi pu voir des médecins reconnus coupables de viol par le juge judiciaire n’ayant commis aucune faute disciplinaire selon le conseil de l’Ordre).
La faute disciplinaire résulte de la violation par le praticien de ses obligations déontologiques (contenues dans le code de déontologie médicale).
On peut notamment évoquer l’obligation d’information à l’égard de son patient, qui doit pouvoir peser lui-même les bénéfices et les inconvénients de toute intervention médicale ou traitement, ou encore le respect du secret médical.
Une fois fait ce tour d’horizon, on peut évoquer la place que pourrait prendre le COVID dans le champ de la responsabilité médicale. Et cela risque en réalité d’être très rapide : les procédures étant relativement longues en la matière (il s’agit de constater un dommage et non plus de l’empêcher), aucune décision, a fortiori définitive, n’est intervenue à l’heure où nous écrivons ces lignes. On ne peut donc à ce stade qu’envisager les problèmes que de telles procédures pourraient poser, de façon générale. Ce cadre général peut du reste permettre de mieux cerner les enjeux au cas par cas.
Aussi bien le devoir d’information, que le respect du secret médical, qu’un défaut d’organisation ou qu’une erreur de diagnostic ou de traitement ne sont pas des obligations du praticien propres au coronavirus. Et si le respect du secret médical est absolu, le devoir d’information ne peut l’être, en l’absence de données disponibles pour le médecin. Comment informer sur les conséquences en cas d’absence d’intervention lorsqu’on ne les connaît absolument pas ? L’erreur de diagnostic ou de traitement sont tout aussi compliqués à prouver en cette période.
On a beaucoup entendu parler de la chloroquine par exemple, dont les effets, qui ne semblent pas être aussi miraculeux que ce qu’on a pu prétendre, sont en fait inconnus sur la maladie mais peuvent entraîner des dommages irréversibles, notamment lorsqu’elle est prise à forte dose. Le devoir d’information doit là aussi encourager le praticien à informer a minima qu’il conduit des essais et qu’il ne sait pas tout, comme c’est le cas pour chaque essai. Ainsi, s’il s’avérait que ce médicament était efficace, il serait compliqué d’engager la responsabilité du praticien ne l’ayant pas prescrite au moment où l’on ne connaissait pas ses effets sur le coronavirus, et ce alors même que le malade l’aurait demandé.
D’autres expérimentations ont eu lieu, avec plus ou moins de respect de l’encadrement éthique auxquels ils doivent donner lieu. On a ainsi pu voir tous les membres d’un comité mis en place pour surveiller un essai de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris démissionner en même temps du fait du comportement de ceux qui mettaient en œuvre et de ceux qui finançaient cet essai. Tout ceci intervenait dans un contexte où les sachants voulaient donner l’impression qu’ils continuaient de l’être, sur fond de « Course au prix Nobel ».
La première chose à faire pour les patients ou pour leurs proches est donc de vérifier que des médecins ne se servent pas du contexte pour s’affranchir de leurs obligations « générales », celles qui ont cours « en temps normal ». Mais pour toutes les autres obligations légales et déontologiques des médecins, on a pu voir en filigrane déjà dans ce texte qu’il fallait toujours disposer de données pour pouvoir engager la responsabilité du médecin (ou de l’établissement dans lequel il officie). La médecine, comme toute science (et du reste comme la loi, et l’interprétation qu’on en fait), étant mouvante, on se base toujours sur la pratique reconnue et les connaissances dont on dispose à l’instant T. Ainsi, dans les décisions relatives à la responsabilité médicale, revient souvent l’expression « selon les données acquises de la science ».
Ainsi qu’on a pu le voir, en ce qui concerne le COVID-19, quelles étaient-elles, ces « données acquises », au moment du pic de l’épidémie ? Elles étaient nulles. Certains ajouteront « dans tous les sens du terme », mais de notre point de vue, le problème n’est pas qu’elles étaient absentes, le problème est que les praticiens, en tout cas médiatiques, avaient une fâcheuse tendance à prétendre qu’ils savaient au lieu d’admettre qu’ils ne savaient pas. Ainsi, ils trouvaient. Au lieu de chercher.
On a évoqué dans ce blog un potentiel effet d’aubaine de la période du confinement pour le pouvoir politique, qui pourrait rétrécir les libertés publiques pour des motifs autres que ceux liés à la maladie (nous ferons le point dans un prochain billet). Il est évident que ce risque existe aussi du côté de la médecine, même si c’est par essence de façon moins systémique.
C’est en fait le principal risque d’injustice lorsqu’on parle de la responsabilité médicale en période de COVID : voir des médecins qui ont prétendu savoir pendant des semaines, voire des mois, prétendre qu’ils ne savaient rien lorsque leur responsabilité est engagée.
En ce qui concerne l’aléa thérapeutique, il faut tout d’abord rappeler que l’ONIAM est un organisme financé par la puissance publique. La réparation de l’erreur médicale non fautive est donc financée par la solidarité nationale. Cela risque de provoquer une différence d’indemnisation entre le juge judiciaire (qui se prononce sur le cas qu’on lui présente) et le juge administratif (qui prend en compte l’intérêt général, voir le précédent article de la section : Les EHPAD et le COVID).
Ensuite, l’imprévisibilité du pronostic des patients pourrait jouer, mais cette fois-ci en faveur des patients : en cas d’erreur, il sera extrêmement compliqué, dans un premier temps, de démontrer que le patient n’aurait pas souffert des dommages constatés ou aurait moins souffert en l’absence d’intervention du praticien, puisque tout malade peut potentiellement mourir du virus, en tout cas à l’heure où l’on écrit ces lignes. Mais ici, on pourrait le démontrer rétroactivement. L’aléa thérapeutique n’est pas lié aux données acquises de la science, et rappelons que le délai pour demander réparation de son dommage est de dix ans à compter de la consolidation de son état (c’est-à-dire à partir du moment où les dommages se stabilisent, ou disparaissent). Dans cette hypothèse, pourraient se présenter des cas où la science sera, à terme, capable de dire que cette personne ne risquait finalement pas grand-chose sans intervention, comme certaines personnes ont pu être atteintes par le virus sans ressentir autre chose qu’une petite fatigue.
D’ailleurs, nous ne connaissons pas, nous semble-t-il, les raisons de tant de disparités entre personnes, alors que probablement elles seront découvertes à terme, espérons rapidement.
Malgré tout, en période de COVID, la responsabilité médicale répond aux situations classiques, en sanctionnant des services des hôpitaux, des médecins, des infirmières, des services de secours en cas de faute simple ou grave selon les cas. Mais les incertitudes y étant plus importantes, la responsabilité pour des cas spécifiques de COVID pourrait être plus compliquée à rechercher. Mais pas impossible. Ce sera au cas par cas.